Moment de vérité

Sans comprendre, l'elfe sentie pulser sa lèvre, alors que le doigt de son amant l'effleurait. Une goutte rouge apparue... Elle compris sans mal de quoi il s'agissait, mais comment... Faucon passa son doigt, pensant toucher une coupure quelconque mais il n'en fut rien, et aucune trace de sang ne fut visible sur sa main.

Les deux gouttes maintenant, se retrouvaient dans un ballet hypnotisant dont elle n'arrivait pas à détacher son regard. Quelle étrange magie faisait-il là! Le sang se cristallisa, et ses yeux papillonnères face à se phénomène qu'elle ne pensait pas possible.

Une promesse... l'image du pont la fit sourire; elle la trouvait belle et appropriée... Mais une promesse lourde d'une menace sous-jacente. Son regard oscillait entre les pierres de sang et les yeux de son amant, pour ne plus quitter les rubis. Elle sentait ces doigts qui s'invitaient contre et en elle, et les sensations incontrôlables que son corps ressentait, mêlées à l'interrogation importante qui lui était faîte la mettait dans un état de malaise grandissant. Elle ne pouvait s'empêcher de se sentir piégée, oppressée, coincée entre deux extrémités divergentes. Elle en vint presque à souhaiter qu'il cesse de la toucher pour pouvoir se concentrer sur les paroles prononcées. Dans son esprit, le souvenir atroce d'un piège perfide et mortel lui revint violement en mémoire, la faisant frissonner et brisant le reste d'intimité qui rendait tout possible. Son coeur s'était accéléré et, luttant contre une sorte de nausée elle se dégagea un peu plus du centaure, le regard enfiévré afin que celui ci cesse le ballet de ses mains et de sa bouche sur sa peau.

"Laisse-moi quelques instant je te pris."

Entourant ses jambes repliées de ses bras, elle eut un fin sourire en direction de son amant et clos ses yeux. De funestes images dansèrent devant ses paupières, réveillant d'anciennes blessures en elle. Elle fit le vide et se calma, cherchant pourquoi cette promesse d'amour l'avait tant refroidie et effrayée.

Plus jamais seul? Pour l'éternité? Que savait un mortel de l'éternité? Même les elfes qui s'en targuait ne bénéficiait pas d'une vie indestructible. Toute flamme s'éteint un jour... Et il y avait sa vengeance... Elle n'y survivrai sûrement pas, et il était hors de question qu'elle y implique quiconque. Elle pressa machinalement le large bracelet de cuir qui enserrai son poignet. Prenait-il la mesure de ses paroles?

Elle s'interrogea, ses pensées tournèrent longuement sur les mots prononcés. Voulait-elle emprunter ce pont entre eux deux? La perspective de ce geste ne l'effrayait pas. Ce fut l'idée de la perte de 'la sécurité de la solitude' qui retint le plus son attention. Que voulait-il dire par là? Ces pensées s'entrechoquèrent, et au bout d'un moment elle sembla sortir de sa léthargie apparente. Faucon se glissa jusqu'à son amant, mais sans poser ses yeux sur lui.

L'elfe recouvrit la main ouverte de sa paume, refermant les doigts du centaure sur les pierres de sang. Ses yeux en fixaient d'autres. Elle semblait avoir retrouvé sa sérénité.

" Ce n'est pas un refus éternel. Nos deux vies ne sont mêlées que depuis 2 lunes et déjà tu nous menaces d'une seconde ombre chacun. La solitude n'a pas qu'un mauvais côté et quoi qu'il se passe nous en aurons toujours besoin, car ce n'est pas qu'une malédiction mais le moyen de se retrouver... Souhaites-tu réellement nous ôter ces instants qui donneront plus de saveur au fait d'être côte à côte?

Je te soupçonne de t'être laissé grisé par ce nouveau pouvoir dont je ne saisit pas bien l'entière portée... Tout l'amour et la tendresse que je pourrai t'apporter ne t'aideront pas à maîtriser cela. Tu le feras seul comme je ferai mes propres voyages...

Je ne veux pas d'un symbole qui nous aliénerai l'un à l'autre. Cela ne signifie pas que je renie ce lien qui existe depuis la première fois où mes lèvres ont goûtées les tiennes. Que ces pierres de sang en soit la représentation tangibles, alors, mais pas le carcan. Donne leur un autre sens, ou attendons qu'elles prennent toute leur valeur, Syl Ewan.
Pour nous. "

Citation :

"Laisse-moi quelques instant je te pris."

En entendant la réaction de Faucon, la pression artérielle du mage de sang se mit à croître subitement, ses capilaires sanguins se contractèrent et son coeur se mit à battre beaucoup plus vite. Il ressentait quelque chose de fort... De la colère!
En effet, le centaure avait la bouche plus séche, l'estomac serré, les machoires crispées...
Attentif aux vibrations de mana qu'il dégageait et éveillé à ce qu'il ressentait, il prenait conscience de sa frustration et du sentiment de rejet qui se déversait en lui.
Ses yeux se portèrent alors sur l'elfe qu'il aimait et il décida de laisser la colère couler au travers de lui.

Comme consciente de la force de son amour à cet instant précis, elle se rapprocha de lui et lui enlaça les doigts.
Guidé par la rôdeuse, il referma le poing sur les deux rubis comme elle avait refermé ses cuisses.
Le sang de Faucon semblait s'être glacé en une sourde terreur qui l'empêchait d'accepter de bon gré son cadeau. SYL EWAN la regarda avec douceur. Repliée sur elle-même, elle paraissait brisée; une petite fleur écarlate abimée...
Sans un mot, juste avec un tendre sourire le centaure laissa se rapprocher de lui celle qui avait touché son coeur. Il s'allongea à ses côtés et la prit délicatement dans ses bras, contre son torse. Quelques délicieux moments, il caressa de ses doigts musiciens la chevelure rousse de l'elfe puis, ressentant toujours ce froid en elle, il fit remonter la couverture sur eux en l'enlaçant plus fort encore.

Dans le creux de la main du sorcier, les deux larmes de sang pulsaient doucement. Il accepta enfin de s'exprimer.

Penses-tu devoir affronter cela seule mon amour? Penses-tu ne pouvoir te trouver que seule? Je me suis trouvé grace à toi! Tu m'as permis de révéler le courage qui m'a fait dire non à mon éducation!

Il rouvrit lentement les doigts... Regarda les cristaux... Plongea son regard dans celui de Faucon...

Si l'intimité que je t'offre te semble si effrayante, je te laisserai combattre tes propres démons comme tu le souhaites. Puisses-tu entendre ma voix et sentir ma présence lors des moments de détresse...

Mais dans l'immédiat savourons toi et moi la douceur de cette nuit, veux-tu?

Il la serra, rassurant, plus fort encore.

L'elfe se lova dans les bras de son amant. Ils étaient une protection éphémère contre les démons qui l'assaillait, elle le savait, mais une présence réconfortante tout de même. La chaleur qui émanait de ce corps contre le siens la réchauffait lentement, aidé par la couverture qui les recouvraient.
Bercée par les battements de ce coeur qui n'était pas le sien, et les caresses qu'elle sentait dans ses cheveux, Faucon frissona, cette fois à cause d'une tourmente plus agréable que le froid. Les yeux clos, elle demeura silencieuse profitant de la douceur de l'instant partagé. Puis elle murmura, presque avec appréhension.

"Je n'ai pas dit que je devais tout faire seule, ni que l'intimité offerte était effrayante... Je pense qu'il faut que je m'interroge sur ce que je puis faire avec toi. Je suis heureuse que tu te sois trouvé par mon biais, Syl. Mais il y a une partie de moi que je préfèrerait exhumer avec précaution afin de l'apprivoiser et l'accepter à nouveau... Et d'autres qui refusent de se laisser inhumer et me harcèlent dès que je crois en être débarrassée...

Elle serra son poignet droit dans un geste compulsif, et ses paupières se scellèrent avec force comme terrassée par la difficulté de prononcer certaines vérités.

Ce nouvel état est.. soudain. Je ne m'y attendais pas et je n'y était pas préparée. Toi non plus, tu me diras, mais bon, tu semble mieux le gérer que moi... Je dois réfléchir à certaines choses, retrouver mes limites, voir si je peu être à... avec toi... sans risquer de te blesser par ses ombres qui m'oppressent. Je.. Tu ne peu rien pour... Restons-en là... Profitons de ses instants, oui...

Elle se blottit à nouveau, prête à accueillir le sommeil. Faucon discerna derrière ses yeux clos la baisse de luminosité résultant de la magie du centaure; il avait éteint la lumière.
Elle sombra étonnement vite dans un long sommeil sans rêve qui lui fit le plus grand bien.

L'elfe s'éveilla, battant des paupières à cause de la luminosité qui l'aveugla le temps qu'elle s'y accoutume. Avec agilité, elle se dégagea de l'étreinte du centaure faisant attention à ne pas l'éveiller, un sourire tendre aux lèvres. Elle se rhabilla puis se recoiffa vaguement, tout en observant la pièce et leurs dégâts. Il fallait tout remettre en l'état...
Ses épaules s'affaissèrent. Malgré le temps passé dans ce clan, les habitudes avaient la vie dure et elle continuait à agir comme si elle traquée et devait continuellement camoufler ses traces..Ce qui expliquait en partie le côté impersonnel et froid de sa demeure. Elle s'affaira en silence, s'attardant sur la tâche de vin et les débris de son verre. Seul demeura l'îlot de coussin sur lequel reposait le centaure encore endormi.

Elle l'observa quelques instants, hésita puis sortie, son sac à l'épaule et le fagot en main. Faucon déposa le bois au sol et ouvrit en grand les fenêtres depuis l'extérieur, dans un léger grincement. Elle s'appuya sur la rambarde, puis lança un petit caillou sur son amant pour qu'il se réveille, tout en se dissimulant derrière le volet.

Ils n'allaient sûrement pas continuer leurs routes ensemble aujourd'hui, et elle aborrait ces 'aux revoirs' hypocrites ou déprimants, laissant un goût amer... L'idée de partir l'avait plus que traversée, sans un mot, en lui laissant son si précieux jeu et une de ces roses noires qu'elle faisait éclore derrière sa maison, pour éviter qu'il ne pense qu'elle l'avait fui.

Mais elle ne l'avait pas fait. Pas toute suite du moins. Elle l'observa se relever silencieusement, avant de chercher à sortir de la forêt en suivant le soleil, poussée par son estomac qui lui faisait comprendre qu'une diète prolongée n'était plus envisageable.